« Avec le temps, avec le temps, va, tout s'en va... », dit la chanson. Et
pourtant, force est de constater qu'ils sont des choses qui ne changent
pas... avec le temps. Ainsi en est-il de l'affectation du quartier de la
cathédrale : au XIème siècle, déjà, il abrite
l'administration civile et religieuse. C'est en effet là que les Comtes de
Namur ont leur seconde résidence, juste à côté de l'église Saint-Aubain
où leurs morts sont inhumés. Nouveau saut dans le temps. L'an 1560 voit
la création de l'Evêché, un Evêché qui s'établit à deux pas du palais des
gouverneurs. De nos jours, l'ancien palais des gouverneurs abrite le
Palais de Justice. L'Evêque, lui, réside dans l'ancien refuge de l'Abbaye
de Malonne éloigné à peine du palais épiscopal, où le gouvernement
provincial a établi ses quartiers - les bureaux des députés permanents se
trouvant, juste à côté, dans l'hôtel de Propper. Ce palais épiscopal,
l'actuel palais provincial, c'est à l'Evêque Thomas de Strickland
(1679-1740) que nous le devons. Tout comme ses pairs de Liège et
d'ailleurs, Thomas de Strickland souhaite que soit érigée une résidence
somptueuse. Son édification sonnera le coup d'envoi d'une étonnante
période de reconstruction aux quatre coins de la province. De 1750 à 1784,
abbayes, châteaux, maisons de maîtres sortent de terre. Que l'on songe,
par exemple, à Malonne, Franc-Waret, Saint-Gérard, Waulsort, Freyr,
Annevoie ou encore Vierves... Autant d'édifices marqués de l'influence de
ce style Louis XV, qui avait fleuri si heureusement à Namur, entre
Sambre et Cathédrale.
Mais revenons à Namur où, dans la seconde moitié du
XVIIIème siècle, le visage de la place Saint-Aubain et
de la place du Marché aux Légumes se transforme lui aussi. Toutes deux
sont agrandies dans un souci d'urbanisation et d'hygiène. L'église
Saint-Jean l'Evangéliste et le cimetière attenant disparaissent de la
première après 1760. Même chose, côté place du Marché aux Légumes, pour
l'Eglise Saint-Loup et son cimetière en 1778. Les deux places sont
désormais de forme presque régulière, mais elles sont cependant
différentes. La place du Marché aux Légumes avec ses immeubles étroits
(environ quatre mètres) et hauts (trois niveaux) est destinée au commerce,
tandis que la place Saint-Aubain est cernée de demeures larges et basses,
habitées jadis par les chanoines.
En 1740, Thomas de Strickland n'est plus de ce monde. Paul Godefroid de
Berlo de Franc-Douaire (1701-1771) devient le treizième Evêque de Namur,
le 30 janvier 1741. Il aura à faire face à une situation financière
difficile car Thomas de Strickland n'avait pu rembourser les emprunts
contractés pour construire le palais. Néanmoins, la transformation de
l'endroit se poursuit et, le 21 juin 1750, il pose la première pierre de
la nouvelle cathédrale Saint-Aubain, édifice construit sous la direction
de l'architecte Chermane, d'après les plans de l'architecte Pisoni. Son
successeur, le prince Ferdinand-Marie de Lobkowicz, consacrera la
cathédrale le 20 septembre 1772. Il quitte Namur le 31 octobre 1779 pour
l'évêché de Gand, après avoir construit l'avant-corps du palais épiscopal
et avoir réaménagé une partie de l'intérieur. Il sera remplacé par
Albert-Louis, Comte de Lichtervelde (1715-1796), dont la fin du règne est
troublée par l'occupation du palais par les officiers français. Le prélat
ne quitte pas sa demeure pour autant. A sa mort toutefois, le palais de
l'évêque, confisqué, devient la propriété de l'Etat français, qui y
installe l'administration du département de Sambre et Meuse. Gilles
Emmanuel Perès, nommé préfet par le nouveau Premier Consul, y réside,
vraisemblablement de 1799 à 1814... fait notable : il y reçoit Napoléon et
Joséphine de Beauharnais en 1803. Quand au siège épiscopal, il demeure
vacant jusqu'au Concordat, conclu le 15 juillet 1801 entre Napoléon et le
Pape Pie VII. Le nouvel évêque est nommé le 29 juin 1802. Il s'agit de
Monseigneur de Bexon qui, après quelques démêlés avec Bonaparte, donne sa
démission. Il est remplacé par Monseigneur Pisani de la Gaude, un homme
choisi par Napoléon, qui occupera le siège épiscopal jusqu'en 1826. En
1804, il quitte l'hôtel de Groesbeek pour s'installer dans l'ancien
refuge de l'Abbaye de Malonne, l'actuel évêché.
A la chute de Napoléon, en 1814, on a voulu rendre à l'évêque son ancien
palais, mais... Il devient, après le départ des français, la résidence de
Jean-Baptiste d'Omalius d'Halloy, Gouverneur de la Province de Namur,
pendant la période hollandaise et, ensuite, à partir de 1830, des
gouverneurs de l'Etat belge, dont le premier fut le baron Goswin de
Stassart (1830-1834). Les Gouverneurs de la Province de Namur n'ont pas
quitté le bâtiment depuis lors, un bâtiment qui a toutefois subi bien des
transformations. Dès 1884, d'importants travaux sont exécutés. Cette
année-là, on construit, dans le même style, une aile de quatre travées,
perpendiculaire au palais, du côté de la rue Basse-Marcelle, masquant
ainsi la dernière des onze travées du bâtiment principal. Plusieurs des
salons de l'étage seront, dans les années suivantes, aménagés en style
Napoléon III. Une décoration remarquable qui mériterait d'être conservée
comme témoignage de plus en plus rare de cette époque. Parallèlement,
l'Etat belge rachète la maison accolée au palais... Ce n'est toutefois
qu'en 1937 que les deux maisons suivantes sont acquises pour permettre la
construction d'une aile administrative homogène s'inspirant sensiblement
du projet initial du palais qui figure sur la gravure de Remacle Le Loup
en 1740.
Le palais a été, semble-t-il, dessiné et exécuté par le géomètre Jean
Maljean, sur les instructions de Thomas de Strickland. Avec Jean-Baptiste
Chermane - qui a également dirigé la construction de la cathédrale et de
l'Hôtel de Croix, Maljean est un des grands architectes du
XVIIIème siècle à Namur. On lui doit, en effet, outre le
palais, le séminaire et le château de La Plante, l'église Notre-Dame,
l'abbaye d'Argenton à Lonzée et, semble-t-il, le château de Suarlée de
même, sans doute, que l'aile de l'abbaye de Floreffe.
Les trois corps de logis qui donnent dans la cour d'honneur sont percés
de fenêtres bombées à clé saillante et de lucarnes à croupe dans les
toits à la Mansart. Le corps de logis principal était en 1732 simplement
ponctué par des pilastres à refend d'ordre colossal et percé au centre
par une porte en plein cintre comme la façade actuelle donnant sur le
jardin. Le successeur de Thomas de Strickland, l'évêque Lobkowicz
(1772-1779), voulut embellir l'entrée et c'est ainsi que le style Louis
XV laissa son empreinte au palais provincial. L'évêque fit construire
devant la porte, un porche à pans concaves percé d'ouvertures cintrées et
au premier étage, une tribune trapézoïdale dont les piliers angulaires
servent encore de piédestaux à quatre statues.
De la décoration intérieure qui était, en 1732, fastueuse, il ne reste
hélas que quelques cheminées, des portes, quelques boiseries, et
l'escalier d'honneur avec sa rampe en fer forgé et son plafond peint en
trompe-l'oeil. La décoration du hall d'entrée, et de l'actuelle salle du
Conseil provincial et de l'ancienne chapelle, a été complètement remaniée
par l'évêque Lobkowicz qui demanda, en 1773, aux frères Moretti d'y
placer les magnifiques stucs que l'on peut encore voir aujourd'hui. Et ce
n'est qu'au milieu du XIXème siècle que le peintre Marinus
offre de décorer la salle du Conseil provincial de toiles représentant les
monuments et les sites les plus caractéristiques de la province. Enfin,
l'aile administrative de six travées (qui donne sur la place) accolée au
nord du palais a, quant à elle, été construite en 1937, d'après la
gravure ancienne de Remacle Le Loup (1740).